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LES DANITES DE COTE D'IVOIRE:QUI SONT ILS?

LES DANITES:2 MILLIONS DE JUIFS BLACKS

Dans une longue interview fleuve, le réalisateur David Szerman nous raconte la tribu perdue - retrouvée ? - de Dan.

Le mois dernier, France 2 a diffusé dans le cadre de "La Source de vie" la première partie d’un étonnant reportage : LES DANITES DE COTE D’IVOIRE.  

On y suivait 2 rabbins franco-israéliens (Haim Rosenfeld et Abraham Sellem) dans leur enquête de terrain en Côte d’Ivoire sur les DAN YACOUBA. Une ethnie africaine de plus de 2 millions de personnes qui se déclarent les descendants de DAN, l’une des 10 tribus perdues d’Israël.

Bien que de nombreux agendas de la communauté juive aient omis de signaler ce film, celui-ci a bénéficié d’une forte part d’audience, avec plus de 300 000 spectateurs ce matin-là…A l’occasion de la diffusion de la seconde partie, dimanche 16 juin à 9h15 sur France 2, nous avons rencontré le réalisateur du film, David Szerman, qui nous raconte cette aventure et nous donne des précisions sur ce deuxième épisode.

Talia Rantanen : Cela fait longtemps que vous vous intéressez aux Danites de Côte d’Ivoire ?

 


DS : Je fais des documentaires depuis près de 20 ans et je travaille aussi depuis plus de 10 ans pour Josy Eseinberg et la "Source de vie". Il y a quelques années, j’ai réalisé pour eux, avec le rabbin Marc Kujawski, un documentaire en 2 parties sur les BNE MENACHE - les juifs de Manipour et Mizoram (en Inde) qui disent être la tribu perdu de Menaché. Ce film a fait pas mal de bruit puisqu’il a permis au public français de découvrir ces "juifs aux yeux bridés" que l’on peut croiser dans les rues de Jérusalem.

Peux après, Haim Rosenfeld (de l’Institut du Temple de Jérusalem) qui venait de se faire nommer grand rabbin de Côte d’Ivoire, m’a proposé de l’accompagner à Abidjan pour filmer la grande exposition sur le Temple de Jérusalem qu’il organisait là-bas. C’est là que j’ai eu mon premier contact avec les Danites. Avec Haim Rosenfeld, nous nous sommes entretenus avec plusieurs d’entre eux. Ils nous ont parlé de leur attachement à Israël. Mais surtout, nous avons rencontré le révérend Robert Dion, qui est l’historien des Danites depuis 20 ans.

TR : On connaît leur existence depuis 20 ans déjà ?

DS : Oui ! Robert Dion a publié plusieurs ouvrages sur le sujet. Depuis, d’autres historiens et chercheurs l’ont imité. Ce n’est pas quelque chose de nouveau.

TR : On n’en a pas entendu parler…

DS : C’est parce qu’ils se sont adressés au gouvernement d’Israël, via l’ambassade – et donc au ministère des Affaires étrangères. Or le gouvernement s’intéresse aux intérêts supérieurs de l’Etat d’Israël. Je pense donc qu’ils ont du passer outre les appels d’une "ethnie perdue dans les montagnes d’Afrique "… Les Bné Menaché aussi ont du renouveler leur appel en vain pendant 50 ans. Jusqu’à ce que le rabbin Elyahou Avihail et l’association Shavei Israël (dont le directeur était un ancien conseiller de Netanyahu) prennent la chose en main… Ici c’est un peu pareil. Voyant l’échec du contact avec les politiques, ils ont fini par s’adresser au rabbinat. C’est ainsi que le révérend Dion a proposé à Haim Rosenfeld de se rendre dans les "18 montagnes" (la région où vivent les Danites depuis 500 ans) avec un autre rabbin, représentant le rabbinat d’Israël. En l’occurrence le rabbin Abraham Sellem, qui dirige le centre de conversion pour francophones de Jérusalem. Et j’ai eu la chance d’être invité à éterniser par un film le grand moment de cette "rencontre"…

TR : Comment s’est-elle déroulée ?

DS : En fait, cela ne s’est pas passé comme nous le prévoyions. D’abord, pour reprendre la phrase de Haim Rosenfeld, "nous n’avons pas trouvé le judaïsme en place". Contrairement aux juifs d’Ethiopie (pays dont les Danites se disent originaires), ils n’ont pas de coutumes juives – mais ils ont un nom : DAN YACOUBA – qui, d’après certaines traductions, signifierait "Dan fils de Yacoub" (Jacob, en langue Dan).

Aujourd’hui, les Danites sont essentiellement chrétiens et une partie est musulmane, au nord de leur région. Il n’y a donc plus de "traces explicites" de leur origine juive.

D’autre part, nous pensions rencontrer des personnes qui nous apporteraient des explications sur les Dan, leur histoire, leurs origines, leurs coutumes et pratiques communes à celles du peuple d’Israël. Et au lieu de cela, nous nous sommes retrouvés à faire des salutations aux différents chefs ou notables locaux. Nous n’étions pas venus pour cela ! Le sommet a été atteint quand le deuxième jour de notre séjour à Man (capitale des Danites) nous avons passé notre matinée à un grand meeting, où nous ont été offerts – certes – des cadeaux, mais où tout le monde parlait la langue des Dan, et où l’on ne comprenait rien. Nous nous sommes même demandé à un moment si tout cela n’était pas "du cirque"… Ce n’est que plus tard que nous avons compris que ce meeting n’était pas du tout anodin, mais bien au contraire, que cela avait été un évènement d’une importance capitale pour les Danites. En fait un évènement historique, que beaucoup attendaient depuis des années – si ce n’est des siècles !

 

TR : Comment avez-vous compris cela ?

DS : En parlant plus tard avec différentes personnes, dont certaines n’étaient pas forcément d’accord, ou amies, avec le révérend Dion. Ces gens nous ont expliqué que les membres présents à ce "conseil des chefs" (puisque c’est de cela qu’il s’agit) étaient les plus hauts dignitaires danites. Ils étaient venus de tout le pays, bravant les barrages militaires et la guerre civile pour être présents à ce "conseil" exceptionnel, que les Danites ont appelé "Journée de réunification du peuple Dan". C’était une double réunification. Une réunification avec le peuple d’Israël, dont ils ont officiellement reconnu faire partie. Ils ont d’ailleurs voté cette réunification. Mais c’est aussi la réunification des Danites entre eux, car nous avons découvert que – contrairement à ce que l’on croyait, les Danites – comme chaque groupe humain – connaissent des dissensions internes. Des dissensions religieuses, mais aussi politiques. Or ce jour-là, ils étaient tous là - et tous d’accord.

L’instant solennel des retrouvailles officielles entre la tribu Dan et le peuple d’Israël

Ce que nous n’avions pas compris aussi, c’est qu’organiser un tel "conseil des chefs" alors que le pays était en pleine guerre civile, et que la ville de Man était occupée par les forces rebelles, était extrêmement risqué. Cela aurait pu être pris par les rebelles comme un complot ou un conseil de guerre ! Certains jeunes nous ont avoué plus tard avoir fait 800km à l’arrière de camions de marchandises pour pouvoir assister à cette rencontre. C’est en entendant ces récits, que certains nous ont livré avec parfois beaucoup d’émotion, que nous avons compris que l’événement auquel nous avions assisté était un véritable moment historique : C’était l’instant solennel des retrouvailles officielles entre la tribu Dan et le peuple d’Israël… C’est ce que dans mon métier on appelle un "scoop"… Et finalement, même si on ne peut vraiment parler d’enquête anthropologique, on peut affirmer que c’était la première étape des Danites pour faire connaître au monde leur existence…

TR : Mais l’enquête ne s’est pas arrêtée là ?

DS : Non, bien sur que non ! Maintenant que les formalités officielles étaient passées, il fallait reprendre notre enquête. Et il est clair que ce n’est pas en restant dans la grande ville de Man que cela pouvait se faire.

TR : Alors comment trouver des traces ou des preuves d’un passé hébraïque ?

DS : Pour en trouver, il nous a fallu nous enfoncer dans la montagne à la rencontre d’animistes et de sorciers qui pratiquaient encore des rites païens. Et voir s’il y avait dans leurs rites des choses qui ressembleraient à ce qui avait pu être les rites des Hébreux avant la destruction du premier Temple ou bien des rites cananéens ou assyriens…

TR : Et vous en avez trouvé ?

DS : Oui ! D’abord les Danites croient en un Dieu unique et invisible, qu’ils vénèrent certes par l’intermédiaire d’un masque. Ce Dieu unique a un nom que l’on n’a pas le droit de prononcer. Et il s’agit en fait du Tetragam. A la place de ce nom ils disent : "Atanaï" (Adonaï ?). Ils ont aussi un jour saint, qui n’est autre que le samedi, qu’ils appellent "Saabaa". Mot qu’ils traduisent par "Jour du Sacrifice" ou "Jour de la crainte". Ce jour là, pour le peuple Dan, le travail est formellement interdit. Les sacrifices en question sont des offrandes de semoule mélangée avec de l’huile (comme le Korbane Minh’a au Temple de Jérusalem). Ils pratiquent bien sûr la circoncision, que les Dan considèrent comme une "marque distinctive". Et pour eux c’est quelque chose de fondamental. Un non-circoncis n’est absolument pas considéré. Il ne peut se marier avec une Danite, ni prendre part aux décisions de la communauté. (C’est d’ailleurs sous le prétexte que nous étions circoncis que nous avons été autorisés à assister aussi bien au "conseil des chefs" qu’à rencontrer les sorciers et prêtres animistes).

TR : En Afrique, la circoncision est une pratique courante, je crois ?

DS : En effet. C’est pourquoi je ne pense pas que l’on puisse dire que la circoncision est la "marque" des Danites. Par contre, ce qui peut-être les distingue encore des autres peuples ivoiriens est le fait qu’ils ont gardé, jusqu’à aujourd’hui, des règles de pureté familiale ! Des personnes (y compris un anthropologue) m’ont dit qu’il s’agit d’un comportement tout à fait exceptionnel en Afrique et en Cote d’Ivoire.

TR : Y a-t-il d’autres ressemblances avec le judaïsme ?

DS : Oui. Comme le vêtement traditionnel, ’le "Baoué" qui, avec ses 7 bandes bleues, ressemble à un thalite. J’ai d’ailleurs vu au Musée des civilisations à Abidjan un "Pagne Yacouba" antique, qui avait d’étranges noeuds sur les côtés. Il y a aussi la langue, où l’on retrouve beaucoup de mots hébraïques, surtout dans les expressions spirituelles. Mais il y a aussi des fêtes, une sorte de Kidouche, et plein d’autres pratiques issues de la Thora comme le "Lévirat" ou les lois sur les champs… Mais je vous invite à regarder le deuxième épisode pour en savoir plus…

TR : Justement. Qu’y a t-il de nouveau dans ce deuxième épisode ?

DS : La première partie suivait l’itinéraire des rabbins sur le terrain - leurs voyages et leurs rencontres. On assistait aussi au "conseil des chefs" dont j’ai parlé plus haut. Mais on ne donne aucune explication sur qui sont ces Danites de Côte d’Ivoire. J’ai d’ailleurs reçu, dans la semaine qui a suivi la diffusion de la première partie, énormément de mails de personnes de France et d’Israël qui me posaient des questions sur l’identité des Danites. J’ai été "vache" avec eux, puisque je me contentais de leur répondre "d’attendre le deuxième épisode !" Cet épisode relate en effet "l’odyssée" de la tribu Dan et décrit les ressemblances avec le judaïsme.

TR : Vous avez pu tout décrire ?

DS : Non ! Il m’aurait fallu un troisième épisode pour aller au fond des choses et pousser l’enquête jusqu’au bout. Mais c’est déjà extraordinaire que LA SOURCE DE VIE diffuse 2 épisodes de 45 minutes chacun. Car le film a beau être un scoop, son sujet peut déranger. La télévision israélienne n’a même pas daigné regarder le film. Pensez-vous ! Il n’y a ni vulgarité, ni discours anti-religieux, mais au contraire, 2 millions d’Africains qui se déclarent Hébreux et clament leur amour d’Israël. Pourquoi voulez vous que ça les intéresse ?

En revanche, Josy Eisenberg n’a pas hésité un seul instant. Le jour où il a vu la bande annonce, il m’a immédiatement appelé à Jérusalem pour me dire "oui". C’est tout à son honneur. Et c’est l’occasion pour moi de lui rendre hommage, ainsi qu’à sa sympathique équipe, qui n’a cessé de me soutenir… Et ils n’ont pas eu à le regretter je pense, puisque la 1ere partie a fait près de 300 000 spectateurs rien que pour la France ! C’est pas mal pour un dimanche matin à 9h15… d’autant plus que malgré nos efforts de communication, certains agendas de la communauté, qui n’hésitent pas à signaler n’importe quel docu ayant trait de près ou de loin (parfois même très loin) à Israël ou au judaïsme, ont je ne sais pourquoi "oublié" de signaler mon film… Mais heureusement, les Télérama et autres programmes TV généralistes étaient là pour prendre le relai, annoncer et décrire le film… En Israël, il a été beaucoup vu par satellite ou par câble. En Afrique, ils ont voulu le projeter avec vidéo projecteur dans des églises le Dimanche matin…

TR : Que n’avez-vous pas dit et auriez aimé dire dans d’autres épisodes ?

DS : J’aurais aimé pouvoir développer davantage, rapporter encore d’autres ressemblances, mais aussi faire part de nos doutes et des questions que nous nous sommes posées. J’aurais aussi aimé parler du thème du "retour des exilés et des tribus perdues". C’est un sujet qui est déjà abordé dans le Talmud et sur lequel les rabbins sont en désaccord depuis 2000 ans. Le rabbin Abraham Sellem et le cabaliste David Cohen m’ont exposé les arguments des uns et des autres à la lumière du Talmud, mais aussi des trouvailles qui ont été faites dans la Genizah du Caire, et des événements que nous vivons depuis 100 ans – je veux dire le retour d’Israël sur sa terre, et ce des 4 coins du monde, comme dans le cas des Bné Menaché. Mais il y a aussi un autre phénomène qu’il n’était malheureusement pas possible de développer en 2,30mn. C’est celui du "réveil africain".

TR : Qu’est ce que le "réveil africain" ?

DS : Le cas des Danites n’est pas nouveau et n’est pas unique non plus. Depuis une dizaine d’années on assiste sur tout le continent africain à l’éveil de nombreux peuples, ou groupes ethniques, qui prétendent descendre des Hébreux. Or les questions qui se posent sur ces groupes sont les mêmes que pour les Danites : leur histoire est-elle crédible ? Quelles sont leurs motivations : spirituelles ou économiques et sécuritaire ? Mais aussi pourquoi vouloir tant se lier à Israël, alors que le pays est décrié dans les médias ou sur la scène internationale ?

L’été dernier s’est tenu à Durban, en Afrique du sud, un grand symposium, qui réunissait des membres de toutes ces tribus et ethnies. Le Dr Shalva Veil, une anthropologue de l’Université hébraïque de Jérusalem qui a fait un doctorat sur "les tribu perdues d’Israël" et a parcouru le monde, était là. Elle nous a longuement expliqué que ce phénomène était très émouvant, mais que c’était aussi une sorte de "foire" ! Comme ces nombreux groupes de rastas qui prétendent être LES Hébreux authentiques, alors que nous, Juifs d’Israël ou du reste du monde, serions des "imposteurs"… Par contre, d’autres cas ont retenu son attention. Outre les Danites de Côte d’Ivoire, l’on trouve 2 autres ethnies importantes qui prétendent descendre d’Israël : Les LEMBAS d’Afrique du sud et les IGBOS du Nigeria. Et tous les 3 affirment venir de DAN !

TR : Qui ment ? Qui dit vrai ?

DS : En fait, il n’y a pas de contradiction mais plutôt une confirmation. Comme nous l’explique le révérend Dion, ces 3 ethnies ont la même origine : Le peuple DAN a fui l’Ethiopie où l’on essayait de le convertir de force au 13e siècle. Les fuyards sont partis dans deux directions. Vers le sud, jusqu’en Afrique du sud. Et vers l’ouest. En 200 ans, leur peuple va se disséminer le long de la Corne de l’Afrique. Au Nigeria, au Bénin (ancien Dahomey – qui veut dire d’ailleurs "le ventre de DAN") et ce jusqu’au Sénégal. C’est en Côte d’Ivoire que se trouve le plus grand groupe. Ce sont surtout les seuls qui ont gardé leur nom d’origine : DAN. François Kouya, un chercheur ivoirien qui nous a accompagnés durant notre voyage, nous a confié que les LEMBAS ont apparemment la même langue que les DANITES. Or de la Côte d’Ivoire jusqu’à l’Afrique du sud, il y en a des kilomètres….

TR : Quel est le rapport des Danites à Israël ?

DS : Comme je l’ai dit, l’Etat, pour l’instant ne veut pas en entendre parler. Quant aux rabbins… Comme vous le savez, c’est très dur de faire bouger le rabbinat, cela peut prendre beaucoup de temps… Pour les Bné Menaché (de Manipur) cela a pris 50 ans ! Pour que les choses bougent, il faut d’abord que les rabbins en aient envie - et le courage de s’impliquer. Mais cela arrive parfois. Pour les juifs d’Ethiopie le rav Ovadia Yossef, alors grand Rabbin d’Israël, s’est impliqué. Pour les Bné Menaché les Rav Goren et Bakshi Doron ont fait de même. Les deux grands rabbins actuels auront-ils l’envie et le courage de s’impliquer ?

Toujours est-il que depuis ce voyage, le mouvement est lancé. Et malgré le "black-out médiatique", on en parle. Les gens posent énormément de questions. Aujourd’hui il y a ce film et cet article. Et le succès du premier épisode montre bien l’intérêt du public pour le phénomène. Bientôt une délégation de Danites doit se rendre en Israël, où elle rencontrera les deux grands rabbins et sera reçue à la Knesset. L’histoire du retour des Danites est en marche. Et moi j’ai eu la chance d’en filmer les premiers pas.

Interview du réalisateur David Szerman sur son film LES DANITES DE COTE D’IVOIRE

 

Mise à jour le Samedi, 16 Novembre 2013 12:09